Homélie : 26e dimanche du temps ordinaire année B

par Jean-François Bergeron, diacre
 

      Jésus a des paroles très dures aujourd'hui. Cette semaine, en relisant cet évangile, la première chose qui m'est venue à l'esprit, c'est le souvenir d'un petit article de journal sur lequel j'étais tombé il y a quelques années ; un fait divers, qui m'avait fait sursauter et qui, après coup, m'avait attristé puis fait réfléchir. L'article disait qu'on avait reçu un homme, d'urgence, à l'hôpital, qui s'était lui-même arraché un œil après avoir lu ce texte de l'évangile qu'on vient d'entendre. Évidemment, on s'était dépêché de lui donner les premiers soins, mais on l'avait ensuite dirigé vers l'aile psychiatrique. Si je me rappelle bien, c'était quelqu'un qui souffrait de schizophrénie et qui était en crise en posant son geste. Il était en plein épisode délirant et, donc, il n'était ni conscient de la portée de son geste, ni responsable de ce qu'il faisait à ce moment-là. J'espère qu'il va mieux maintenant, qu'il a reçu tous les soins nécessaires et que certains de ses proches ont prié pour lui.

      En écoutant l'évangile d'aujourd'hui, on a tous compris que Jésus ne nous demandait pas de nous auto-mutiler. Sinon, il nous manquerait probablement à tous au moins une petite partie du corps, un pied, une main, un œil, une langue, ou d'autres petits bouts que je vous laisse imaginer. Bref, on sait tous que quelqu'un qui prendrait chaque mot de Jésus, chaque parole de l'évangile au pied de la lettre, aurait de sérieux problèmes. Jésus utilise un langage symbolique, et nous demande d'en comprendre l'esprit et non de le prendre à la lettre. Celui qui prend tout ce qu'on lui dit au premier degré, qui ne prend aucune distance critique par rapport à ce qu'il entend, souffre nécessairement d'un certain déséquilibre mental.

      Si je vous parle de ça aujourd'hui, c'est pour aborder un sujet d'actualité dont on entend beaucoup parler depuis plusieurs années déjà et qui est même devenu une menace sérieuse pour notre monde. Je parle de l'intégrisme religieux. On peut penser d'abord aux intégristes musulmans, mais il y a aussi des intégristes juifs, des intégristes chrétiens, et il semble y avoir des courants intégristes dans chaque religion. L'intégriste est justement celui qui fait passer la lettre avant l'esprit, contrairement à ce que nous enseigne Saint-Paul et Jésus lui-même. L'intégriste nous dit en somme qu'il faut comprendre chaque mot de la Parole de Dieu dans son sens littéral, et il se construit un système religieux rigide, figé comme un bloc de béton, auquel on doit obéir dans son « intégralité ». D'où le terme « intégriste ». On doit tout suivre à la lettre, intégralement, et aucune évolution, aucun progrès n'est permis à l'intérieur de ce système.

      C'est ce qui se passe au nord du Mali actuellement, dans le Sahel, en Afrique de l'Ouest. En imposant leur charia, certains groupes intégristes musulmans sont en train de ramener le pays à l'âge de pierre. On coupe les mains aux voleurs, on a lapidé à mort publiquement un couple qui avait eu des enfants hors mariage, et on a même interdit la musique, dans ce pays qui compte de si grands musiciens.

      L'intégrisme chrétien pourrait également être cité en exemple. Je pense à la véritable guerre verbale que se livrent les créationnistes et les évolutionnistes dans le domaine de l'éducation aux États-Unis. Les créationnistes prennent le récit du Livre de la Genèse à la lettre et disent que c'est Dieu qui a façonné l'homme dans la glaise et qui lui a ensuite enlevé une côte pour créer la femme. Tandis que les évolutionnistes affirment plutôt, à la suite de Darwin, que les espèces évoluent, et que l'homme descend du singe.

      Or, ces deux façons de voir la réalité sont-elles nécessairement opposées, sont-elles contradictoires? Notre Église nous répond que non. La théorie de l'évolution de Darwin a été en partie réhabilitée, même s'il existe toujours un chaînon manquant entre le singe et l'homme. On ne sait toujours pas comment et à quel moment est née la conscience humaine, cette conscience qui nous permet d'entrer en relation avec Dieu. N'empêche, plusieurs aspects de la théorie de l'évolution de Darwin demeurent pertinents, en particulier ceux qui s'intéressent au règne animal. Mais la science ne discrédite en rien le récit de création qu'on retrouve dans la bible. La science essaie de répondre à la question du « comment » et de comprendre comment les choses se sont passées concrètement, sur le plan physique. Tandis que le récit biblique s'interroge davantage sur le « pourquoi », sur le sens des choses, sur le sens à donner à notre vie, sur notre relation à Dieu, et se situe donc plus à un niveau métaphysique. Bref, il n'y a pas d'opposition entre la science et la religion, entre la raison et la  foi. Il s'agit seulement de deux regards différents, de deux perspectives différentes d'une seule et même réalité. Mais les intégristes, eux, voudraient nous imposer une seule façon de voir, la leur, et nous empêcher de réfléchir sur un monde qui progresse,  qui évolue, et qui est constamment en mouvement. Est-ce que c'est parce qu'ils souffrent d'un handicap mental ou de problèmes psychiatriques comme l'homme que j'ai donné en exemple tantôt? Peut-être que oui pour certains. Mais je crois que la plupart se sert de la religion comme prétexte, pour assouvir leur soif de pouvoir et pour asseoir leur domination.

      Mais revenons maintenant à nos textes d'aujourd'hui, qui nous montrent justement que le Saint-Esprit est toujours en mouvement, en activité, et qu'il ne se laisse pas couler dans le béton comme le souhaiteraient certains intégristes. Qu'il ne se laisse pas accaparer par ceux qui voudraient imposer leur pouvoir sur les autres, notamment sur les plus faibles.

      Dans la 1ère lecture, l'Esprit a soufflé sur deux hommes qui ne se trouvaient pas à ce moment-là avec Moïse et les 70 anciens. Ils se sont mis eux-aussi à prophétiser, ce qui semble en avoir rendu certains jaloux. Or Moïse demandent aux autres anciens de les laisser prophétiser. L'Esprit souffle où il veut et quand il veut. Et Moïse n'a pas du tout l'intention d'arrêter les deux hommes, ou de leur réclamer un « pizzo », une commission comme celle que les entrepreneurs de Montréal ou de Laval doivent remettre à la mafia. Moïse sait qu'il n'a pas le monopole de l'Esprit-Saint et il aimerait au contraire que tout le peuple puisse prophétiser.

      Dans la deuxième lecture, Saint-Jacques nous dit que les riches qui ne partagent pas avec les pauvres et qui accumulent malhonnêtement leurs richesses ne peuvent pas être inspirés par l'Esprit-Saint, qui est un Esprit d'amour et de justice sociale nous poussant à partager. Cette lettre de Saint-Jacques aurait pu servir de belle introduction et de belle conclusion à la commission Charbonneau.

      Pour ce qui est de l'évangile du jour, il nous ramène d'abord à la première lecture. Un homme chasse les démons et fait du bien aux gens au nom de Jésus. Ce passage de l'évangile est souvent lu lors des rencontres annuelles pour l'unité des chrétiens. Les apôtres aimeraient bien empêcher cet homme d'agir, puisqu'il ne fait pas partie de leur équipe. Ils ont, eux aussi, la tentation du pouvoir et aimeraient bien imposer à cet homme leurs propres règles. Mais voyez ce que leur répond Jésus, toujours animé par ce même Esprit de bonté et de liberté. Il leur dit de le laisser aller, puisque cet homme fait du bien en son nom. « Celui qui n'est pas contre nous est pour nous ». Bref, pas d'esprit sectaire chez Jésus, et aucune soif de pouvoir et de domination sur les autres, comme c'est le cas chez nos fameux intégristes.

      Mais alors, pourquoi emploie-t-il un langage si dur dans la dernière partie de l'évangile? « Si ta main, si ton pied t'entraîne au péché, coupe-les. Si ton œil t'entraîne au péché, arrache-le. Il vaut mieux entrer manchot, estropié ou borgne dans le Royaume de Dieu que d'être jeté tout entier dans la géhenne, là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s'éteint pas ». Pourquoi Jésus a-t-il des mots si durs? (Petite parenthèse avant de terminer. Quand Jésus nous parle de la géhenne, il nous parle de l'enfer, vous le saviez sans doute. Mais pour ceux qui ne le savent pas, la géhenne était en réalité le dépotoir de Jérusalem. On y faisait constamment brûler les déchets, et les vers y grouillaient 24h sur 24. Je suppose aussi que ça ne devait pas sentir le parfum de roses. Dans l'imaginaire des gens, la géhenne est donc devenue une représentation de l'enfer. Et ceux qu'on envoyait travailler là-bas, les vidangeurs de l'époque, utilisaient une fourche pour brasser les déchets qui brûlaient. D'où notre représentation du démon avec une fourche et noirci par la suie. Je referme la parenthèse). Si Jésus nous interpelle par des mots si durs, ne serait-ce pas à cause de l'importance et de l'urgence du sujet dont il traite, qui devraient être une priorité dans nos vies? Jésus nous appelle à un combat intérieur, à un combat contre nos penchants mauvais qui nous empêchent d'entrer librement dans son Royaume, dans la vie éternelle. Que cette communion, donc, nous fortifie et nous aide à nous engager sérieusement dans ce combat intérieur, pour que les portes du Royaume s'ouvrent devant nous et que, justement, nous ne nous retrouvions pas coincés avec le vidangeur fourchu de Jérusalem. Amen!


     Unité pastorale Montréal-Nord